dimanche 19 décembre 2010

L'allée aux jeunes rameaux (suite)


    Des amis du thé m'ont réclamé le poème de Yao He (775-842) dans sa totalité. 


    Le voici :

葼径
药院径亦高,
往来踏葼影。
方当繁暑日,
草屩微微冷。
爱此不能行,
折薪坐煎茗。
姚合

Comme traduction j'ai choisi celle de Hervé Collet et de Cheng Wing Fun publiée chez Moundarren. La calligraphie au début de cet article est également de Cheng Wing Fun .

L'allée aux jeunes rameaux

Dans le jardin de pivoines l'allée est bordée de hauts arbres,
je m'y promène en foulant l'ombre des jeunes rameaux.
Aujourd'hui la chaleur est accablante,
pourtant mes sandales en paille sont fraîches.
J'aime cet endroit, je ne puis me résoudre à en partir,
je casse des branches mortes pour préparer le thé.
                                                                            Yao He


mardi 30 novembre 2010

Yao He, L'allée aux jeunes rameaux


Parmi les amis du thé il y a aussi ceux du passé. Les poètes qui nous parlent du thé et que l'on relit sans se lasser. 
Ce matin je parcourais L'allée aux jeunes rameaux de Yao He 姚合, quand je me suis souvenu d'une phrase qu'un maître de thé m'avait dite à Xi'an 西安, en dessous des remparts, dans une petite maison glacée que la vapeur de l'eau bouillante essayait de réchauffer.
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Il neigeait dehors. A l'époque, avec un air malicieux, il m'avait dit avant de préparer le thé : « we're going to snap twige off »; « on va casser du petit bois ». Il avait une bouilloire électrique, pas de poêle, et je n'avais pas compris pourquoi il me disait cela. J'ai supposé qu'il s'agissait d'une référence littéraire mais je ne savais pas laquelle.
Et c'est juste aujourd'hui, trois ans plus tard, que je saisis son propos. Le poète de la dynastie Tang achève ainsi son poème : « on va casser du petit bois et on s'assoit pour infuser le thé. »
                                                             zhē
                                                             xīn
                                                             zuò
                                                             jiān
                                                             míng 
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dimanche 31 octobre 2010

Une visite au pavillon de thé Hu Xin Ting

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Lorsque j'ai rendez-vous dans la vieille ville, je prévois toujours un moment pour passer au pavillon de thé Hu Xin Ting. C'est une institution à Shanghai et il est probable qu'aucun amateur de thé séjournant dans la ville ne manque d'y faire un tour. Si le quartier est devenu d'année en année un véritable bazar où les touristes déambulent en rangs serrés, il abrite tout de même quelques lieux formidables où l'on rencontre souvent des amis du thé.
Aujourd'hui j'ai du temps et je peux bien en profiter. Il faut dire que j'ai une autre habitude sur cette esplanade, à coté du petit pont aux Neuf Courbes : je rends régulièrement une petite visite au jardin Yu.
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Même si je ne reste que vingt minutes dans le Yu Yuan je ne quitterai pas la vieille ville sans y être rentré quelques instants. Je paye vite mon billet, je quitte le brouhaha pour retrouver la Chine éternelle. Je connais tous les raccourcis, et ainsi, je vais contempler la partie du jardin qui me fait plaisir. 
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Je reste un bon moment à regarder, selon les saisons, un toit, un dragon ou un reflet dans une étendue d'eau. S'il y a trop de monde dans telle partie du jardin, je me déplace ailleurs. Quand j'ai trouvé un endroit calme où je suis bien, je ne bouge plus et je m’enivre de la beauté du lieu.
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Après cette contemplation, je suis dans une bonne disposition pour pratiquer un Gong Fu Cha. Le plus difficile est parfois de revenir au pavillon de thé à contre courant des marées humaines rendant infranchissable les vingt-cinq mètres entre les deux lieux. Plus d'une fois, j'ai du faire le tour par la Jiujiaochang lu.
En rentrant aujourd'hui dans le pavillon Hu Xin Ting, j'ai tout de suite aperçu un homme, encore assez jeune, à la mise simple, vêtu d'une veste grise, qui débutait une préparation.
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J’ai eu de la chance car il commençait tout juste et se prodiguait de légers massages sur les yeux, les joues, les tempes, pour se détendre le visage. Je me suis installé un peu loin de lui pour ne pas le gêner mais suffisamment près pour observer à loisir ses gestes. Je n'étais pas le seul à suivre son cérémonial. Il y a toujours en bas des personnes qui suivent les préparations des autres sans rien consommer. J'ai fait signe au patron que je commanderai plus tard. Il a l'habitude, il a acquiescé d'un mouvement de tête.
Du Gon Fu Cha de l'homme à la veste grise, je garderai dans ma mémoire sa façon de prendre le couvercle de sa petite théière de Yi Xing : seul le petit doigt de sa main droite était replié dans la paume de sa main. Ce geste est difficile à exécuter : désolidariser le petit doigt des quatre autres doigts demande une souplesse étonnante ou tout au moins une grande pratique.
Personnellement je préfère laisser tous les doigts recouvrir le couvercle. J'aime bien cette impression qui me rappelle, lorsque je bouge la main, le trait de pinceau du calligraphe -même si mes maîtres de thé m'ont toujours demandés de le tenir avec le pouce et l'index et de replier dans la paume les trois autres doigts. J'ai suivi longtemps cette prescription, puis un jour, je ne sais plus à la suite de quoi, c'est imposé à moi cette façon de faire. Je n'en ai plus changé, sauf lorsque j'enseigne à quelqu'un comment bien préparer le thé. D'ailleurs je fais une grande différence entre les gestes qui sont utiles pour bien maîtriser le thé (comme verser l'eau sur les feuilles ou retourner les tasses pour les égoutter) et ceux qui n'ont pas de réelle importance et qui parlent plus de celui qui les réalise (car tenir un couvercle avec deux ou trois doigts ou plier sa serviette en deux ou en trois, ne changent en rien le goût du thé.) Mais je blasphème...
Une autre caractéristique du Gong Fu Cha de l'homme à la veste grise : sur sa table à thé il posait son couvercle juste à gauche de sa théière (sur la même ligne). Ce que je n'avais jamais vu faire auparavant et ce qui m'a paru dans l'absolu peu aisé à réaliser par un droitier. Pourtant ce geste chez lui était simple et harmonieux et ne gênait en rien la fluidité et le rythme de sa préparation. Un beau moment.
J'ai ensuite officié avec un Da Hong Pao de qualité. Les personnes qui suivaient tout à l'heure les gestes de l'homme à la veste grise se sont tournées pour m'observer. Concentré dans ma respiration j'ai vite oublié leur regard. Après avoir suivi le cérémonial j'ai rempli trois tasses. J'en ai déposé deux devant ma table de thé pour les deux personnes des alentours qui ne consommaient pas. Ils ont d'abord fait comme s'ils n'étaient pas concernés, mais le patron qui suivait ma préparation leur a dit quelque chose (que je n'ai pas compris) et ils sont venus prestement chercher leur tasse. Après avoir dégusté la liqueur boisée et fruitée, l'un deux m'a dit « it's good ».
J'ai quitté en paix la vieille ville.
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jeudi 30 septembre 2010

Une petite maison de thé


En Chine c'est souvent dans les maisons de thé prestigieuses que l'on rencontre des amis qui excellent dans la préparation des thés. Certaines de ces maisons sont des repères bien connus. Mais je ne veux pas commencer par là. Je préfère aujourd'hui évoquer une de ces petites maisons de thé, toutes simples, comme il y en a beaucoup en Chine, depuis qu'elles sont autorisées de nouveau à ouvrir leurs portes. Je les affectionne car on y rencontre parfois de vieux messieurs qui ont une pratique du thé simple et harmonieuse. J'aime à les regarder, à observer tel geste, telle attitude, telle méthode, ou simplement, lorsqu'ils le veulent bien, à partager le thé avec eux.
Pourtant ces petites maisons comportent bien des inconvénients. D’abord le thé n'est pas souvent fameux. Certes il n'est pas onéreux, jamais non plus désagréable à boire, mais parfois, il faut le reconnaître, il est très ordinaire. (Cela me fait penser qu'à force de consommer des thés d'exception, je ne me rends plus vraiment compte de la chance que j'ai.) Ensuite ces lieux sont souvent enfumés : les habitués des maisons de thé grillent parfois cigarette sur cigarette. Heureusement elles sont ouvertes aux quatre vents et les fumées sont vite dissipées dans les courants d'air. Sauf que l'hiver il y fait très froid, dépourvues de chauffage, il n'est pas rare que les portes restent grandes ouvertes... Quel plaisir alors de se blottir contre la table à thé bien chaude, dans la vapeur de l'eau bouillante, les mains posées sur la théière de Yi Xing, le corps rasséréné par la paisible liqueur.
Parmi toutes ces petites maisons, il fallait en choisir une. Une que j'affectionne tout particulièrement. J'ai bien hésité. Et c'est celle du Peng lai gong yuan que j'ai retenu. Elle ne se trouve pas dans le plus beau jardin de Shanghai, ni le plus grand, elle n'est d’ailleurs, à ma connaissance, dans aucun guide touristique. Trop loin de la vielle ville, trop loin des anciennes concessions. Mais probablement dans le jardin le plus populaire et le plus animé de la ville. Ce jardin porte le nom de l'ile de Péng lái 蓬莱 (dans le Shandong) et de sa montagne (蓬萊山), lieu d'immortalité des taoïstes. Le samedi matin, c'est un concentré de toutes les activités et de tous les arts chinois : des chanteurs d'opéra aux pratiquants des arts martiaux, des calligraphes aux joueurs de cartes, des danseurs aux adeptes du majong, rien ne manque, chacun a son espace réservé, et dans chaque méandre du jardin, on y retrouve une activité traditionnelle. En semaine, tout en discutant, les anciens s’égaillent et s'étirent sur des agrès, quelque soit le temps qu'il fait.
Et au milieu de tout ce monde il y a une maison de thé. Je l'aurais difficilement découverte si je n'avais pas travaillé dans les environs et si je n'avais pas pour habitude de trainer dans les lieux non touristiques à la recherche des amis du thé. Souvent d'ailleurs, c'est dans une maison de thé, petite ou grande, que j’apprends l'existence d'une autre maison de thé ou d'une personnalité, qui pourrait partager sa pratique ou ses connaissances sur un thé particulier. De table en table, j'ai beaucoup appris dans ces lieux. 
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La dernière fois que je suis passé c'était l’automne. Il pleuvait fort. Le jardin était presque désert. Fantomatique. Seuls quelques imperturbables joueurs de carte continuaient leurs parties dans les rares endroits abrités. J'ai posé mon parapluie sur les marches et je suis entré. La salle était vide. La patronne, une dame déjà âgée, a bondi de derrière son comptoir. Elle m'a reconnu et m'a installé sur la seule table où il y avait un petit bouquet. Comme si c'était une évidence, elle est allée directement me chercher les ustensiles nécessaires au Gong Fu Cha, sans rien me demander. Puis elle a apporté, dans deux pots, deux wulong : un Tie Guan Yin, au léger parfum d’orchidée et de pêche blanche, et un Dan Cong, un peu trop sec et ancien pour moi. La théière était assez neuve, d'un bleu nuit presque noir, ce n'était pas celle que j'avais utilisé les années d'avant. Peut être avait-elle été cassée. Je n'ai pas su comment le demander à la patronne. Cette nouvelle théière de Yi Xing aurait été idéale pour quatre ou cinq personnes. Je l'ai réchauffé et j'ai tapissé son fond d'un tiers de feuilles.
La patronne m'a dit d'en mettre davantage. Je ne me suis pas senti de lui refuser. J'ai fait six infusions très courtes et heureusement pour moi -sinon j'aurais été ivre de thé- deux jeunes hommes qui ne pouvaient pas pratiquer le Taï Chi à cause de la pluie, sont venus m'aider à épuiser la théière. Le plus élégant des deux, qui portait une veste traditionnelle, m'a indiqué une adresse, pas très loin, où l'on pouvait acheter un très bon Anxi Tie Guan Yin. Après être retourné travailler, le soir, à la nuit tombée, sous un rideau de pluie, je suis reparti avec trois de mes élèves, vers ce marchand de thé inconnu.

mercredi 18 août 2010

Le thé est semblable à notre monde.


Le thé est semblable à notre monde. Une vie ne suffira pas pour en faire le tour : bien trop vaste à parcourir, trop étendu à traverser. Pourtant sur cette route du thé nous sommes nombreux à nous être engagés. Résolument. Nous rencontrons dans nos voyages d'autres amis du thé. Une confrérie aux mœurs simples ou sophistiqués, selon les lieux, selon les moments.
Il est difficile lorsque l'on arrive dans un endroit inconnu de rencontrer autrui autrement que dans la superficialité. Le voyageur est souvent accepté parce qu'il dépense son argent. Ainsi le voyage peut n'engager ni l'être du voyageur ni l'être de l’accueillant.
Avec le thé ces rencontres sont plus simples, plus limpides. Bien sûr nous ne sommes pas naïfs : certains nous offrent le thé pour mieux nous en vendre. Même dans les lieux de spiritualité. Néanmoins, préparer le thé n'est pas un acte anodin. Chaque geste de cette préparation parle de celui qui la réalise. La pratique du thé raconte ce que nous sommes : dans le faire elle engage l'être. On peut ne pas connaître la langue de celui que l'on visite, mais très vite, lorsqu'il a compris la voie qui est la nôtre -à la façon dont nous nous tenons devant lui et devant le thé- les distances se réduisent, les consciences se rapprochent. Une manière de présenter les feuilles, de verser l'eau dessus, d'utiliser les sens que nous avons reçus en partage, un silence, un regard, la trajectoire d'une main : on ne peut guère se tromper. Les faussaires et les profiteurs sont vites démasqués.
On parcourt le monde pour rencontrer les autres, et dans ce périple, le thé est un fameux médiateur. C'est un catalyseur de paix.


Mais pas seulement, on peut aussi partir à la rencontre du thé pour lui même. On se promène alors dans les jardins, les plantations, petites parcelles ou grands domaines, et là, on croise les grands créateurs de thé, ces hommes passionnés et exigeants, aux savoirs faire parfois ancestraux et aux personnalités souvent peu banales. S'ils sont heureux de nous montrer leurs trésors, c'est qu'ils ont su élever le thé dans les hautes régions de la Culture humaine.