jeudi 30 septembre 2010

Une petite maison de thé


En Chine c'est souvent dans les maisons de thé prestigieuses que l'on rencontre des amis qui excellent dans la préparation des thés. Certaines de ces maisons sont des repères bien connus. Mais je ne veux pas commencer par là. Je préfère aujourd'hui évoquer une de ces petites maisons de thé, toutes simples, comme il y en a beaucoup en Chine, depuis qu'elles sont autorisées de nouveau à ouvrir leurs portes. Je les affectionne car on y rencontre parfois de vieux messieurs qui ont une pratique du thé simple et harmonieuse. J'aime à les regarder, à observer tel geste, telle attitude, telle méthode, ou simplement, lorsqu'ils le veulent bien, à partager le thé avec eux.
Pourtant ces petites maisons comportent bien des inconvénients. D’abord le thé n'est pas souvent fameux. Certes il n'est pas onéreux, jamais non plus désagréable à boire, mais parfois, il faut le reconnaître, il est très ordinaire. (Cela me fait penser qu'à force de consommer des thés d'exception, je ne me rends plus vraiment compte de la chance que j'ai.) Ensuite ces lieux sont souvent enfumés : les habitués des maisons de thé grillent parfois cigarette sur cigarette. Heureusement elles sont ouvertes aux quatre vents et les fumées sont vite dissipées dans les courants d'air. Sauf que l'hiver il y fait très froid, dépourvues de chauffage, il n'est pas rare que les portes restent grandes ouvertes... Quel plaisir alors de se blottir contre la table à thé bien chaude, dans la vapeur de l'eau bouillante, les mains posées sur la théière de Yi Xing, le corps rasséréné par la paisible liqueur.
Parmi toutes ces petites maisons, il fallait en choisir une. Une que j'affectionne tout particulièrement. J'ai bien hésité. Et c'est celle du Peng lai gong yuan que j'ai retenu. Elle ne se trouve pas dans le plus beau jardin de Shanghai, ni le plus grand, elle n'est d’ailleurs, à ma connaissance, dans aucun guide touristique. Trop loin de la vielle ville, trop loin des anciennes concessions. Mais probablement dans le jardin le plus populaire et le plus animé de la ville. Ce jardin porte le nom de l'ile de Péng lái 蓬莱 (dans le Shandong) et de sa montagne (蓬萊山), lieu d'immortalité des taoïstes. Le samedi matin, c'est un concentré de toutes les activités et de tous les arts chinois : des chanteurs d'opéra aux pratiquants des arts martiaux, des calligraphes aux joueurs de cartes, des danseurs aux adeptes du majong, rien ne manque, chacun a son espace réservé, et dans chaque méandre du jardin, on y retrouve une activité traditionnelle. En semaine, tout en discutant, les anciens s’égaillent et s'étirent sur des agrès, quelque soit le temps qu'il fait.
Et au milieu de tout ce monde il y a une maison de thé. Je l'aurais difficilement découverte si je n'avais pas travaillé dans les environs et si je n'avais pas pour habitude de trainer dans les lieux non touristiques à la recherche des amis du thé. Souvent d'ailleurs, c'est dans une maison de thé, petite ou grande, que j’apprends l'existence d'une autre maison de thé ou d'une personnalité, qui pourrait partager sa pratique ou ses connaissances sur un thé particulier. De table en table, j'ai beaucoup appris dans ces lieux. 
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La dernière fois que je suis passé c'était l’automne. Il pleuvait fort. Le jardin était presque désert. Fantomatique. Seuls quelques imperturbables joueurs de carte continuaient leurs parties dans les rares endroits abrités. J'ai posé mon parapluie sur les marches et je suis entré. La salle était vide. La patronne, une dame déjà âgée, a bondi de derrière son comptoir. Elle m'a reconnu et m'a installé sur la seule table où il y avait un petit bouquet. Comme si c'était une évidence, elle est allée directement me chercher les ustensiles nécessaires au Gong Fu Cha, sans rien me demander. Puis elle a apporté, dans deux pots, deux wulong : un Tie Guan Yin, au léger parfum d’orchidée et de pêche blanche, et un Dan Cong, un peu trop sec et ancien pour moi. La théière était assez neuve, d'un bleu nuit presque noir, ce n'était pas celle que j'avais utilisé les années d'avant. Peut être avait-elle été cassée. Je n'ai pas su comment le demander à la patronne. Cette nouvelle théière de Yi Xing aurait été idéale pour quatre ou cinq personnes. Je l'ai réchauffé et j'ai tapissé son fond d'un tiers de feuilles.
La patronne m'a dit d'en mettre davantage. Je ne me suis pas senti de lui refuser. J'ai fait six infusions très courtes et heureusement pour moi -sinon j'aurais été ivre de thé- deux jeunes hommes qui ne pouvaient pas pratiquer le Taï Chi à cause de la pluie, sont venus m'aider à épuiser la théière. Le plus élégant des deux, qui portait une veste traditionnelle, m'a indiqué une adresse, pas très loin, où l'on pouvait acheter un très bon Anxi Tie Guan Yin. Après être retourné travailler, le soir, à la nuit tombée, sous un rideau de pluie, je suis reparti avec trois de mes élèves, vers ce marchand de thé inconnu.

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