dimanche 31 octobre 2010

Une visite au pavillon de thé Hu Xin Ting

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Lorsque j'ai rendez-vous dans la vieille ville, je prévois toujours un moment pour passer au pavillon de thé Hu Xin Ting. C'est une institution à Shanghai et il est probable qu'aucun amateur de thé séjournant dans la ville ne manque d'y faire un tour. Si le quartier est devenu d'année en année un véritable bazar où les touristes déambulent en rangs serrés, il abrite tout de même quelques lieux formidables où l'on rencontre souvent des amis du thé.
Aujourd'hui j'ai du temps et je peux bien en profiter. Il faut dire que j'ai une autre habitude sur cette esplanade, à coté du petit pont aux Neuf Courbes : je rends régulièrement une petite visite au jardin Yu.
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Même si je ne reste que vingt minutes dans le Yu Yuan je ne quitterai pas la vieille ville sans y être rentré quelques instants. Je paye vite mon billet, je quitte le brouhaha pour retrouver la Chine éternelle. Je connais tous les raccourcis, et ainsi, je vais contempler la partie du jardin qui me fait plaisir. 
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Je reste un bon moment à regarder, selon les saisons, un toit, un dragon ou un reflet dans une étendue d'eau. S'il y a trop de monde dans telle partie du jardin, je me déplace ailleurs. Quand j'ai trouvé un endroit calme où je suis bien, je ne bouge plus et je m’enivre de la beauté du lieu.
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Après cette contemplation, je suis dans une bonne disposition pour pratiquer un Gong Fu Cha. Le plus difficile est parfois de revenir au pavillon de thé à contre courant des marées humaines rendant infranchissable les vingt-cinq mètres entre les deux lieux. Plus d'une fois, j'ai du faire le tour par la Jiujiaochang lu.
En rentrant aujourd'hui dans le pavillon Hu Xin Ting, j'ai tout de suite aperçu un homme, encore assez jeune, à la mise simple, vêtu d'une veste grise, qui débutait une préparation.
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J’ai eu de la chance car il commençait tout juste et se prodiguait de légers massages sur les yeux, les joues, les tempes, pour se détendre le visage. Je me suis installé un peu loin de lui pour ne pas le gêner mais suffisamment près pour observer à loisir ses gestes. Je n'étais pas le seul à suivre son cérémonial. Il y a toujours en bas des personnes qui suivent les préparations des autres sans rien consommer. J'ai fait signe au patron que je commanderai plus tard. Il a l'habitude, il a acquiescé d'un mouvement de tête.
Du Gon Fu Cha de l'homme à la veste grise, je garderai dans ma mémoire sa façon de prendre le couvercle de sa petite théière de Yi Xing : seul le petit doigt de sa main droite était replié dans la paume de sa main. Ce geste est difficile à exécuter : désolidariser le petit doigt des quatre autres doigts demande une souplesse étonnante ou tout au moins une grande pratique.
Personnellement je préfère laisser tous les doigts recouvrir le couvercle. J'aime bien cette impression qui me rappelle, lorsque je bouge la main, le trait de pinceau du calligraphe -même si mes maîtres de thé m'ont toujours demandés de le tenir avec le pouce et l'index et de replier dans la paume les trois autres doigts. J'ai suivi longtemps cette prescription, puis un jour, je ne sais plus à la suite de quoi, c'est imposé à moi cette façon de faire. Je n'en ai plus changé, sauf lorsque j'enseigne à quelqu'un comment bien préparer le thé. D'ailleurs je fais une grande différence entre les gestes qui sont utiles pour bien maîtriser le thé (comme verser l'eau sur les feuilles ou retourner les tasses pour les égoutter) et ceux qui n'ont pas de réelle importance et qui parlent plus de celui qui les réalise (car tenir un couvercle avec deux ou trois doigts ou plier sa serviette en deux ou en trois, ne changent en rien le goût du thé.) Mais je blasphème...
Une autre caractéristique du Gong Fu Cha de l'homme à la veste grise : sur sa table à thé il posait son couvercle juste à gauche de sa théière (sur la même ligne). Ce que je n'avais jamais vu faire auparavant et ce qui m'a paru dans l'absolu peu aisé à réaliser par un droitier. Pourtant ce geste chez lui était simple et harmonieux et ne gênait en rien la fluidité et le rythme de sa préparation. Un beau moment.
J'ai ensuite officié avec un Da Hong Pao de qualité. Les personnes qui suivaient tout à l'heure les gestes de l'homme à la veste grise se sont tournées pour m'observer. Concentré dans ma respiration j'ai vite oublié leur regard. Après avoir suivi le cérémonial j'ai rempli trois tasses. J'en ai déposé deux devant ma table de thé pour les deux personnes des alentours qui ne consommaient pas. Ils ont d'abord fait comme s'ils n'étaient pas concernés, mais le patron qui suivait ma préparation leur a dit quelque chose (que je n'ai pas compris) et ils sont venus prestement chercher leur tasse. Après avoir dégusté la liqueur boisée et fruitée, l'un deux m'a dit « it's good ».
J'ai quitté en paix la vieille ville.
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